Société
Suisse / France // Reportage
Cycle majeur de la vie sur terre, l’alternance jour-nuit est perturbée par l’explosion de la lumière artificielle. Une bonne partie de l’humanité ne voit plus la voie lactée, la consommation énergétique est gigantesque et la biodiversité souffre. Depuis quelques années, une prise de conscience s’opère dans certaines métropoles, qui passe aussi par une révolution dans la représentation que l’on se fait de la nuit.
Début d’été 2021. Pluie battante sur le Grand Genève et la Haute-Savoie, moral aussi plombé que le ciel d’orage. Se tient en effet « La Nuit est belle », opération de sensibilisation à la pollution lumineuse. Pour la deuxième fois, Genève et 177 autres communes françaises et suisses, ont accepté d’éteindre leur éclairage public pour communier aux beautés de la nuit ensemble, petite laine dans le sac et yeux grands ouverts. Lors de la première, en septembre 2019, les astronomes avaient emmené les curieux observer les anneaux de Saturne en majesté. Pour cette deuxième édition, c’est la biodiversité qui est à l’honneur. Sur le Salève, montagne de presque 1400 mètres qui donne d’un côté sur le Mont-Blanc et de l’autre sur le Léman, les randonneurs doivent aller observer les déplacements de la faune nocturne. En plaine, à Genève ou Annemasse, sont prévus mapping sur des façades de musées par des artistes, balades à la rencontre de chauve-souris en ville, ou simples pique-niques. Mais là, avec les rideaux de pluie qui s’abattent en cette année pourrie, forcément l’œuf dur est un peu mou, et la motivation un poil en berne…
Malgré tout, il y a du monde dehors. Quand le crépuscule tombe, l’expérience esthétique est intense. Sans éclairage artificiel, le ciel moutonne en nuages déclinés en cinquante nuances de gris. Des couleurs dont on a perdu l’habitude, affadies par l’éclairage artificiel. La nuit a de la gueule, on l’oublierait presque, quand bien même on fait partie des gens sensibles à la cause. « C’est pour cela qu’on a appelé cette opération « La Nuit est belle », sourit Pascal Moeschler, l’un des instigateurs de la manifestation, avec l’autorité politique du Grand Genève. Il est biologiste, spécialiste des chauve-souris, animaux presque complètement nocturnes. Sans doute ce qui l’a amené à réfléchir à cet impensé de l’homme contemporain, continent bien plus noir que la nuit elle-même. « La nuit n’est que l’ombre de la Terre. Peut-être parce que nous-mêmes sommes des animaux diurnes, avons tendance à oublier que la vie ne s’arrête pas. Or, en 150 ans à peine, on a changé ce très vieux cycle qui existe depuis des millions d’années du jour et de la nuit », poursuit le scientifique.
Selon le premier atlas mondial de la luminosité artificielle du ciel nocturne publié en 2016 par l’astronome italien Pierantonio Cinzano, 83 % de la population mondiale et plus de 99 % de celle des Etats-Unis et de l’Europe vivent sous un ciel pollué par les éclairages artificiels. Un tiers de l’humanité ne voit plus la voie lactée dont 60 % d’Européens et près de 80 % des Nord-Américains, pour qui la milky way n’est qu’une barre chocolatée. En 1992, l’Unesco a pourtant adopté dans sa « Déclaration sur les responsabilités des générations présentes envers les générations futures », un volet spécifique sur la question. Mais la démocratisation des Led a amené ce que les économistes appellent un effet rebond : la consommation énergétique moindre par unité a fait exploser leur nombre. La France aurait 11 millions de points lumineux, le double de ce qu’elle avait en 1990 selon une estimation de l’Association nationale pour la protection du ciel et de l’environnement nocturnes. Bref, en voulant plier la nuit à nos exigences et nos fantasmes, on l’a transformée en une sorte de jour bis.
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UN PAS DE CÔTÉ DANS LES MÉTROPOLES DU MONDE
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