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(Pré)histoire birmane, actualité conflictuelle

Culture

Myanmar   //   Reportage

D’Angkor à Pagan et d’Ayutthaya à Borobudur, on connait par cœur les paysages bouddhistes d’Asie du Sud-Est, leurs étendues de pagodes, de monastères, de stupas. Depuis la découverte du plus vieil exemple d’art figuratif au monde à Sulawesi en Indonésie, on prend mieux conscience de l’incroyable patrimoine culturel que la région peut offrir, au-delà des monuments de pierre. La Birmanie, dont l’accès reste risqué, possède un territoire archéologique très peu exploré. Expédition.

Le village de Lewun n’apparait sur aucune carte.

Une nuit de novembre 2019, pendant que mon bus quitte la chaleur des plaines et s’enfonce dans les montagnes du Shan, je zoome sans succès sur mon GPS. Je sais pourtant que le village devrait être juste là, dans une des vallées que je vois se dessiner à l’est du lac Samka. Je plisse les yeux de frustration et de fatigue, le téléphone collé au nez, mes doigts qui s’écartent au maximum sur l’écran qui se remplit d’un vert uniforme, sans indice.

Les 35°C de Rangoun sont loin, je m’en veux d’avoir encore oublié des vêtements chauds. Mon voisin ronfle paisiblement pendant que la radio diffuse des chants bouddhistes, en même temps un soap opéra birman défile sur la TV au-dessus du chauffeur. À 4h du matin, il faut descendre avec une poignée d’autres étrangers à Kalaw, point de départ pour un trek célèbre qui conduit chaque année des milliers de touristes au lac Inle, de l’autre côté des collines.

Lewun est à la frontière d’une des cinq zones dites auto-administrées de Birmanie, un territoire ou l’ethnie locale – dans ce cas les Pa-O – exercent un contrôle administratif et politique malgré la domination birmane. Le village abrite un des trois seuls sites d’art préhistorique connus dans le pays et dont j’ai obtenu les coordonnées GPS. Il semble perdu dans une forêt ordinaire ; j’ai quelques photos mais aucune autre piste ! Heureusement, à Kalaw je retrouve deux amis : Patrick, étranger lui aussi, connait le Shan par cœur, et Khin Maung qui y est née. Elle veut découvrir ce site préhistorique au sud de sa ville natale qu’un seul archéologue, Noel Hidalgo Tan, a brièvement documenté en 2018.

Autour du petit déjeuner je leur explique que, pour moi comme pour d’autres, la préhistoire et les grottes sont une affaire de famille. Je décris comment mon père, spéléologue amateur, nous amenait ma sœur et moi explorer les différents réseaux souterrains des Pyrénées ariègeoises. À douze ans, rampant dans des tunnels étroits ou pataugeant sans lumière dans une eau glacée, j’avais alors en tête la grotte des Trois Frères et ses 1 300 gravures et peintures, à quelques kilomètres seulement de là où nous étions. Il était impossible de ne pas prier en secret pour une découverte similaire, de vouloir trouver au détour d’une galerie la preuve rassurante d’une présence humaine préhistorique.

Tout est prêt pour partir à Lewun quand j’apprends que nous n’aurons que trois jours en tout et pour tout pour nous rendre sur le site. En effet, je reçois un appel de Rangoun que j’attendais désespérément : mon permis de voyage humanitaire pour aller dans les camps de réfugiés de Mrauk-U, dans l’état de l’Arakan, a enfin été validé. En Birmanie, afin de travailler dans les zones de conflit, il faut passer par une succession kafkaïenne d’autorisations administratives. Deux ans après l’exode des Rohingyas en 2017, un conflit violent oppose l’armée régulière birmane et le mouvement combattant Armée de l’Arakan. Des dizaines de milliers de personnes sont déplacées à travers cet état limitrophe du Bangladesh, dont à Mrauk-U, une capitale royale qui dominait la région du XVe au XVIIIe siècle. Ce joyau archéologique que j’aurais voulu autrefois visiter en tant que touriste est devenu mon lieu de travail. Le permis n’est pas valable longtemps, il faudra donc nous dépêcher.

La première journée d’approche est simple, il suffit de prendre des motos sur une route goudronnée vers le sud. Il faut rester vigilant : en Birmanie, presque toutes les voitures ont le volant côté anglais… mais depuis 1970, on roule à droite ! L’astrologue attitré d’une junte militaire superstitieuse a décrété que rouler à gauche portait malheur. Ainsi, un camion qui veut doubler a du mal à voir une moto arrivant en face et les accidents sont fréquents.

Le lendemain, à la lisière de la zone Pa-O, les chosent se compliquent. Les motos se faufilent dans les sentiers rocailleux à flanc de montagne mais sur mon téléphone, le point bleu s’éloigne. Après cinq heures poussiéreuses sans signe de vie, la forêt devient trop épaisse, il faut continuer à pied. Enfin, une ouverture : là où l’on devrait distinguer Lewun s’étend un champ de terre ocre. Khin Maung s’exclame, amusée : « C’est du pavot, c’est de l’opium ! ». Nous sommes bien à l’entrée du territoire Pa-O, qui est aussi la pointe méridionale du sulfureux triangle d’or qui chevauche Birmanie, Thaïlande et Laos et qui fut un temps le premier exportateur mondial d’héroïne avant d’être supplanté par l’Afghanistan. Les plants de pavot devant nous sont secs, noircis, le champ parait abandonné. 

En rebroussant chemin, on croise enfin quelqu’un qui chasse du petit gibier. Il rit fort en regardant notre téléphone, moqueur : Lewun est dans une toute autre vallée. Le soleil se couche quand on traverse enfin le village, zigzagant parmi des maisons sur pilotis et remontant la colline pour arriver face à la paroi. Elle fait quarante mètres de longs et domine la plaine. Couverte de figures rouges et blanches, elle est suffisamment incurvée pour servir d’abri à ceux qui l’ont peinte.

[…]

Article complet au format papier dans Mayonèz Mag Nº5. Retrouvez tous les aperçus d’articles de Mayonèz Mag dans la section Archives.

Texte: 
Etienne Berges

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