Culture
États-Unis // Chronique
Est-il possible en littérature de conjuguer prolixité et discrétion, de montrer avec acuité la vie des autres en s’effaçant ? Ces démarches semblent inconciliables voire contradictoires, pourtant Joyce Carol Oates parvient à les associer avec une facilité et un talent qui forcent l’admiration.
Née dans l’état de New York en 1938, cette femme de lettres américaine est d’une trempe peu commune. En effet, quand on se penche sur son œuvre, on est simplement abasourdi par le nombre impressionnant de textes qu’elle a publiés depuis le début de sa carrière littéraire en 1963. Quelque cent cinquante livres ! Plus de soixante romans dont certains sont de véritables monuments et ont suscité un enthousiasme sincère de la critique : Blonde (2000), La Fille du fossoyeur (2007), Mudwoman (2012) ou encore Un livre de martyrs américains (2017), une dizaine sont des romans policiers publiés sous deux pseudonymes : Rosamond Smith et Lauren Kelly. Cinquante recueils de nouvelles. Une dizaine de pièces de théâtre, autant de recueils de poèmes et une vingtaine d’essais, dont un journal intime de quatre mille pages réduites à cinq cents afin de l’éditer… Non seulement ces chiffres donnent le vertige et démontrent que Joyce Carol Oates peut s’illustrer dans n’importe quel genre littéraire, long ou bref, de fiction ou dans le domaine de l’essai, en poésie ou au théâtre, mais ils prouvent aussi que l’écriture est pour elle vitale comme l’air qu’elle respire : on la voit mal s’arrêter…
Quand on lit ce qu’elle dit de l’acte d’écrire, on en vient fatalement à penser que la littérature devient la vie, mais une vie considérée également dans son souffle, sa respiration, que l’on retrouve logiquement dans ses romans. En outre, son expérience d’écrivain et sa carrière de professeur de création littéraire à Princeton lui confèrent sans conteste une autorité dans le domaine de l’écriture, et, lorsqu’on lui demande quelles sont les lois pour réussir un roman, elle répond qu’il n’y en a pas ou qu’il n’y en a qu’une : « ne pas ennuyer le lecteur ». Cette préoccupation se reflète dans ses partis-pris esthétiques.
L’histoire et le personnage
Les sujets abordés par Joyce Carol Oates sont très divers mais on peut les relier à des thèmes récurrents et d’actualité : l’exploration de la féminité dans tous ses aspects, comme la fréquence des mots « fille » ou « femme » le montrent dans les titres qu’elle choisit, l’enfance, l’adolescence et l’éducation, l’héritage familial, le poids du passé, le secret… Le thème est illustré par la trajectoire d’un personnage à l’aune de sa vie entière ; le volume de ces grands romans suggère bien qu’il ne s’agit pas de raconter un bref épisode mais une vie, du traumatisme à la rédemption et parfois la chute. En effet, les romans les plus ambitieux de Joyce Carol Oates, comme ceux cités plus haut, trouvent souvent leur origine dans un traumatisme d’enfance. Le personnage, dans une situation de grande vulnérabilité, est confronté à lui-même et doit puiser en lui toutes les ressources nécessaires pour surmonter l’horreur (la mort violente ou la folie des parents, les mauvais traitements, la haine, l’abandon) et survivre. En priorité, le roman se concentre sur le personnage car ce sont les gens qui intéressent vraiment l’auteur. Les gens et, comme on le voit, leur héritage familial ainsi que la trajectoire qu’ils vont suivre pour s’extraire de ce traumatisme originel ou de leur boue, littéralement, comme le fait le protagoniste de Mudwoman, petite fille qui est abandonnée par sa mère folle sur les rives fangeuses d’un fleuve.
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Texte:
Jean-Luc Pauthier
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