Société
Pérou // Reportage
Les Q’ero sortent de leur territoire et viennent en ville pour partager leur philosophie grâce aux cérémonies d’offrandes aux esprits des montagnes et à la pachamama (la terre mère). De nombreuses personnes, avec des intérêts divers, leur apportent leur soutien et les chamans Q’ero voyagent de plus en plus loin pour, comme ils disent, « soigner le cœur » de leurs frères et sœurs des villes, « les aider à devenir des munayrunas : des individus de paix et d’amour ».
D’où viennent les Q’ero ?
Les Q’ero sont un peuple à part dans les Andes. Leur territoire était tellement enclavé et isolé, au milieu d’un enchevêtrement labyrinthique de combes d’altitudes, de hauts sommets glaciaires et de cols culminant à 5000 mètres, qu’ils n’ont été découverts qu’au XIXe siècle, des propriétaires terriens s’accaparant alors leur territoire. La famille Yabar possédait ainsi tout ce qui vivait et existait chez les Q’ero, incluant hommes, femmes et enfants, qu’ils louaient parfois comme esclaves à d’autres latifundiaires. On ne sait pas grand-chose des Q’ero avant les années 20, quand un membre éloigné de la famille Yabar traverse les terres Q’ero et écrit à la suite de son voyage un article paru dans la revue de l’Université San Antonio Abad del Cusco (UNSAAC). Il les y décrit à la fois comme d’admirables descendants des Incas et comme des sauvages brutaux, des « indios », terme éminemment péjoratif au Pérou quelle que soit l’époque. C’est aussi le tout début de l’indigénisme cusquénien, que David Ugarte, autrefois directeur de l’Institut National de la Culture, me résuma un jour en ces termes : « Inca oui, Indio non ! ».
On n’entend plus parler des Q’ero jusque dans les années 50. Ce sont les premiers pas de l’anthropologie cusquénienne et en 1955, l’un des professeurs de la faculté d’anthropologie de la UNSAAC, Oscar Nuñez del Prado, monte une expédition pluridisciplinaire financée par La Prensa, journal liménien. La famille Yabar, qui a vent de l’expédition, la fait interdire. C’est mal connaître le « Doctor Oscar », qui réunit tous ses membres et la lance clandestinement. Les autorités réussissent tout de même à les faire suivre par un policier, qui deviendra finalement le cuisinier de la petite troupe et leur ami. À leur retour, La Prensa annonce en première page et de manière sensationnelle : « On a retrouvé le dernier ayllu (clan) Inca ». Commencent alors des péripéties qui vont mener Oscar Nuñez del Prado jusqu’au Congrès de la République où, grâce aux soutiens qu’il obtient en 1968, il réussit à faire libérer les Q’ero du joug de la famille Yabar, quelques années avant la réforme agraire, en échange d’une compensation financière. Suite à la parution de l’article, quelques aventuriers et anthropologues européens et américains viennent étudier, ou photographier et filmer ces « derniers Incas ». Les Q’ero font leur entrée dans le monde moderne et commencent à attiser les curiosités, principalement pour leur cosmovision et les rituels d’offrandes aux Apus, les esprits des montagnes, et à la pachamama, la terre mère.
L’origine des Q’ero reste un mystère. Certains éléments de leur tradition orale peuvent donner à penser qu’ils seraient les descendants de mitimaes, peuples que les Incas déplacèrent de force. Leurs noms de famille les assimilent aussi aux communautés quechuophones du lac Titicaca. D’autres traits de leur tradition orale font penser à une origine amazonienne. Pour certains, ils seraient même les descendants de peuples « légendaires » qui nomadisaient dans « la grande forêt » à la recherche de la « terre sans mal », et qui seraient remonté par les fleuves jusque dans les Andes. Finalement et selon un des derniers membres de l’expédition de 1955, interviewé en 2009, il est aussi possible qu’ils soient les descendants des survivants de l’armée de l’empereur Tupac Inca Yupanqui. Sa tentative avortée de conquête des peuples du piémont amazonien des Andes l’aurait amené à leur demander de surveiller la frontière de l’empire en s’installant sur ce territoire isolé. Les vestiges archéologiques d’un ensemble de bastions, de tambos (relais inca) et de chemins empierrés qui auraient permis à l’époque de surveiller les incursions des Amazoniens dans les Andes confirmeraient cette hypothèse. Quoiqu’il en soit, les cinq communautés Q’ero actuelles ont conservé un mode de vie en société très proche de la culture populaire des familles paysannes claniques incas, les Ayllus. La construction de leurs maisons, leurs techniques agraires, leur art textile et leurs symboles, la gestion de leur territoire, leur mode de vie semi nomade entre les différents étages écologiques du flanc des Andes entre autres, et bien sûr leur religiosité, sont autant de pratiques en attestant.
[…]
Article complet au format papier dans Mayonèz Mag Nº7. Retrouvez tous les aperçus d’articles de Mayonèz Mag dans la section Archives.

Texte :
Antoine George
Photographie:
Reenzo Velázquez Bernal
Partagez cet article :
UN PAS DE CÔTÉ DANS LES MÉTROPOLES DU MONDE
Abonnement
Mayonèz Mag est un magazine au format papier. Vous pouvez vous abonner dès maintenant et le recevoir chez vous.