Société
Taïwan // Portrait
Dans un contexte d’héritage culturel marqué par l’imprégnation des populations dans un moule chinois et de fortes divergences et tensions politiques avec la Chine, où se situe la nouvelle génération dans le spectre de sa « sinitude » et de son exceptionnalité politique ? Itinéraire non balisé du sentiment d’appartenance à la culture taïwanaise.
Cela fait deux ans que je rencontre ces jeunes Taïwanais, qui se confient aisément sur leur sentiment identitaire. Les témoignages d’Alexander, Yuhong et Patrick m’ont particulièrement interpellée. « Qui êtes-vous, vous, Taïwanais(e) ? » est la question que je leur ai posée, et leurs réponses furent pour le moins explicites. Mon périple commence à Paris. Durant l’été 2019, mon amie chinoise Mingze me présente Alexander, qui travaille alors comme stagiaire dans la même société d’aéronautique qu’elle. Alexander, 27 ans, est Taïwanais, et il s’entend très bien avec Mingze, qui est chinoise. Nous nous promenons dans le parc Montsouris et nous abritons à l’ombre d’un cèdre pour plus de fraîcheur. Alors que nous discutions gaiement, Alexander commence, sans crier gare, à aborder le sujet délicat de la politique des deux pays.
Peu importent les enjeux politiques pourvus qu’on ait la paix
« Mingze et moi, on est censés être ennemis politiques. Mais finalement on s’entend bien et on partage la même culture. C’est dommage que ce soit si compliqué de se rendre visite une fois rentrés au pays… », et Il ajoute en plaisantant : « Imagine, si le gouvernement chinois nous voyait ensemble ! Mingze ne pourrait plus rentrer ! » Étonnée, je demande s’il considère vraiment partager la même culture que Mingze, et ce qu’il pense au fond, de tout ce climat politique tendu entre la Chine et Taïwan. « On parle la même langue, on mange la même chose, on a presque la même éducation … C’est sûr que je partage la même culture avec Mingze, plus qu’avec toi en tout cas ! Et puis, du reste, si Taïwan devient politiquement chinois, moi ça m’est égal. Si c’est le cas, ça dynamisera les deux économies et ça facilitera les échanges commerciaux et les voyages ». « Mais, tu perdrais beaucoup de libertés », lui répond farouchement Mingze. « Imagine toujours devoir utiliser un VPN pour aller sur les réseaux sociaux, avoir peur d’être arrêté si tu n’émets ne serait-ce que la plus petite critique contre le parti… » « Je pense que je m’y ferais. Je sais que la plupart des jeunes Taïwanais sont prêts à se battre contre la Chine si elle vient nous envahir, mais tout ce qui compte pour moi, c’est qu’on me laisse tranquille dans mon travail, et que je sois bien payé ».
Propos pour le moins surprenant, qui diffère de tout ce que j’ai pu entendre jusque-là. Cela m’a alors ramenée quelques années en arrière, lors d’un voyage à Milan où j’avais rencontré deux jeunes Hongkongais, qui m’avaient tenu un discours ferme et tranché sur leur identité hongkongaise, en aucun cas chinoise. La situation à Hong Kong invitait de fait la population à être plus sur ses gardes qu’à Taïwan, en raison du statut autonome fragile de la ville. Alexander, aujourd’hui ingénieur à Taoyuan, la petite Silicon Valley taïwanaise, ne verrait pas la différence entre travailler à Taïwan et en Chine. Fatigué des perpétuelles tensions entre l’île et le continent, il ne plaide ni pour ni contre la réunification, mais souhaite simplement que règne la paix le long du détroit de Formose.
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UN PAS DE CÔTÉ DANS LES MÉTROPOLES DU MONDE
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