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Eloge du silence

Société

Pérou   //   Expérience

Nous embarquons sur l’Amazone à bord d’un bateau transportant marchandises et passagers. Pour un prix dérisoire, le ticket comprend tous les repas à bord et laisse le droit d’accrocher un hamac sur le pont. Pour le reste, libre au voyageur de s’occuper ou au contraire, de ne rien faire du voyage. Tandis que le bateau vogue très lentement, le voyageur occidental se perd dans un ennui déroutant.

On commence par accrocher un hamac aux poutres en bois du bateau. C’est le premier ou le deuxième étage, peu importe. Au premier niveau de ce bac géant, s’amoncellent des tas de marchandises diverses : motos, sacs remplis de bananes, d’ananas, de riz ou de manioc, palettes de canettes de sodas, bœufs inquiets, poules ficelées, poutres métalliques, éléments de charpente… Ensuite, aux niveaux supérieurs réservés aux passagers, les hamacs tanguent les uns contre les autres, bercés par le rythme très lent de ce bateau qui vogue sur l’Amazone. On est quelque part entre Leticia et Pucallpa, entre la Colombie et le Pérou, naviguant sur la partie supérieure de ce fleuve mythique, de ce géant s’offrant à nous avec des méandres secs. C’est le mois d’août, le niveau de l’Amazone est bas, très bas. À chaque méandre, le bateau effectue un détour d’une longueur terrible car il n’y a plus qu’un chemin à suivre en cette saison, sinon, faute de profondeur, la coque se plante dans le sable.

Le trajet se rallonge donc : de Santa Rosa, le petit village péruvien faisant face à Leticia, jusqu’à Pucallpa, premier port reliant cette partie du pays au réseau terrestre, il faut compter entre dix et quinze jours entrecoupés d’une escale à Iquitos. On ne sait pas vraiment estimer la durée car le temps s’est suspendu pendant cet interminable périple, le bateau nous ayant accablé d’ennui. On n’était pas prêts : pas assez de lecture, pas assez de gourmandises, pas assez d’occupations. On n’était pas prêts : à subir l’ennui, le vrai, celui que l’on ne choisit pas, celui qui atrophie le cerveau, rendant l’humain aussi morose qu’un ruminant passant des heures le museau dans l’herbe.

Quand on n’est pas prêt à accepter le défi de la lenteur, c’est donc celui de l’ennui qui surgit, convoquant des réflexions rythmées par le bercement du hamac. Autour de nous, les regards hagards se balancent nonchalamment, scrutant le vide comme l’on fige l’écran d’une salle de cinéma. Peu de distractions sont au programme quand on avance ainsi sur des flots paisibles aux rives invariables. La jungle amazonienne ne dévoile que ses portes infranchissables, se brise parfois pour laisser poindre un village devant lequel les gosses alignés regardent passer ce bateau lent. De temps en temps, une escale dans un petit port ouvre le ballet des porteurs et des marchands ambulants : les premiers déplacent les lourdes charges à l’étage inférieur tandis que les seconds zigzaguent entre les hamacs presque inertes, à la recherche de clients potentiels.

Détails illogiques

La cumbia résonne parfois dans les haut-parleurs mal réglés du bar situé sur le pont ou bien depuis les téléphones des voyageurs, formant une cacophonie étrange sur fond de bourdonnement de moteur. Le silence n’existe jamais et il est étrange d’associer le bruit continu et perpétuel à la lenteur et à l’ennui. Si en plus, le bar ouvre ses portes de bonne heure, les bourrés se manifestent avant le crépuscule, donnant ainsi un peu plus de relief aux bruits illogiques. 

Les journées sont rythmées par le tintement de la clochette de la cantine, devant laquelle nous nous agglutinons tous en file indienne, tupperware en main, pour recevoir trois fois par jour notre dû. Le matin, une ration de bouillie d’avoine à la cannelle ; le midi, un plat de riz ou de spaghettis agrémenté d’un quart de filet de poulet ; le soir (ou parfois à seize heures), un bouillon presque translucide dans lequel trempent mes propres gouttes de sueur, alors que je suis accablé par la chaleur et l’humidité.

[…]

Article complet au format papier dans Mayonèz Mag Nº4. Retrouvez tous les aperçus d’articles de Mayonèz Mag dans la section Archives.

Texte: 
Marc Nouaux

Illustration: 
Mélissa Pollet-Villard

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UN PAS DE CÔTÉ DANS LES MÉTROPOLES DU MONDE

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