Culture
Mexique // Reportage
En une dizaine d’années, les Purépecha de Cherán se sont rebellés contre les cartels et ont obtenu le statut de communauté autochtone autonome. Ils retracent désormais leur épopée à l’occasion d’une exposition d’art contemporain à leur image.
Le Musée universitaire d’art contemporain (MUAC) de Mexico city accueillait récemment l’exposition Uinapikua, une série de 75 panneaux peints par cinq membres du collectif d’artistes du village de Cherán : Ariel Pañeda, Huaroco Rosas, Betel Cucué, Alain Silva et Giovanni Fabián. Leur communauté autochtone purépecha, de l’état du Michoacan, avait déjà fait les gros titres en 2011 lorsqu’elle avait « réussi à chasser les délinquants, les politiques et la police », selon la BBC qui avait alors couvert l’évènement. Au Mexique, des centaines de communautés autochtones sont en guerre contre les cartels. Le crime organisé leur soustrait de force forêts, cours d’eau, pétrole et minerais. Autour de Cherán, ce sont les pins qui étaient illégalement défrichés pour y faire pousser des avocats – la demande internationale pour ce fruit ne cesse de croître. La communauté de Cherán pleurait ses enfants et activistes, kidnappés et assassinés dans le silence de la forêt… jusqu’au 15 avril 2011 ! Les habitants de Cherán se sont alors révoltés et ont décidé de prendre leur sécurité et leur avenir en main. Leur soulèvement les a menés à l’autonomie. Ils ne dépendent désormais de l’État qu’au niveau fédéral. Depuis leur base à la casa de cultura, les artistes exposés au MUAC – ensemble le Colectivo Cherani – ont créé des œuvres directement liées à la vie politique et sociale de leur communauté. Ce faisant, ils assument certaines des tâches artistiques les plus complexes : tisser une expérience commune dans une œuvre personnelle, renégocier les relations entre les diverses modalités de la tradition et de la contemporanéité, et réinventer l’identité par la liberté de création.
Sous-titre 1 : Les femmes, fer de lance de la résistance de Chéran
Dans la grande salle du musée trône le portrait d’une jeune purépecha oiseau dont la nudité et la sauvagerie célèbrent la radicalité du peuple de Cherán et le courage de ces femmes qui ont mené le combat en première ligne, à l’instar d’Eréndira, la jeune princesse qui, vers 1520, avait défié Cortez. Ce sont les références que les artistes ont en tête à l’heure de proposer leur interprétation des évènements de 2011 et l’évolution de leur communauté dès lors, jusqu’à cette exposition. Ils racontent qu’après avoir tenté de raisonner sans succès les bûcherons à la solde des cartels en pleine forêt, ces femmes décidèrent de se rendre avec leurs enfants à l’Église du calvaire, plus proche du village et d’y bloquer l’accès aux camions qui descendaient le bois « volé ». Une fois les véhicules immobilisés, elles en firent sortir les chauffeurs et les séquestrèrent dans l’église. C’est alors seulement qu’elles firent sonner les cloches pour appeler la communauté à venir leur prêter main-forte. Si les bûcherons furent libérés le jour même, dès lors, plus aucun transporteur externe n’a été autorisé à pénétrer dans la forêt. Les insurgés confisquèrent aussi les armes de la police municipale, qu’ils estimaient corrompue, provoquant la fuite du maire et de son administration.
Des barricades furent érigées aux portes de la ville et les volontaires armés commencèrent à patrouiller dans la forêt. En parallèle, les habitants s’organisèrent, occupant les rues de chaque quartier nuit et jour et les femmes déplacèrent leur cuisine dehors, auprès des feux de camps qui parsemaient alors le village, recréant ainsi un espace de convivialité et de discussion au sein d’une communauté aux aguets. Cherán a ensuite revendiqué son droit, en tant que municipalité autochtone, à se gouverner sur la base des us et coutumes selon l’article II de la Constitution mexicaine. La ville est désormais dirigée par un gouvernement communal, le Conseil de K’eris (“anciens”, en langue purépecha), dont les membres sont nommés sans élection, en dehors du système des partis politiques mexicains.
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Texte et Photographie:
Amélie Padioleau
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